Pense à moi si tu m’aimes.

Quand les réseaux sociaux, les textos et les téléphones portables n’existaient pas, le seul moyen de confier ses maux était de les coucher sur le papier. Envoyer des lettres permettait de relater ses peines, ses joies, de déclarer sa flamme, de raconter le quotidien, de présenter ses condoléances ou ses félicitations, de donner des nouvelles…Dans la lettre en photo, Eugénie Janny, mon arrière grand-mère, évoque la douleur de l’absence de l’être aimé. Elle est adressée à celui qui deviendra son mari des années plus tard et qui, maçon de la Creuse, louait ses services dans toute la France. Elle a été rédigée en 1904, mais reste contemporaine au regard des sentiments exprimés.J’ai en ma possession des centaines de ces courriers échangés entre Eugénie et Victor, jusqu’à ce qu’il meurt sous les balles ennemies en 1917. Ils évoquent l’amour, l’absence, la guerre, les espoirs, les peines et les joies sur presque 15 ans.Cette lettre en particulier, qui pour moi est magnifique, tant par la calligraphie que par les mots employés, m’a donné l’idée de baser une partie de l’intrigue de « Meurtres à nu » sur une correspondance entre deux amies, à l’image de ce qu’écrivait mon aïeule, naïve et clairvoyante.Je vous mets en dessous la reproduction de la lettre, sans correction orthographique ou grammaticale, juste pour vous en faciliter la lecture. Les petits messages en haut ou sur le côté des pages me touchent particulièrement, lancés sur le papier comme des bouteilles à la mer.

Cher ami

Je le sens mon ami le poids de l’absence m’accable. Je ne puis vivre sans toi je le sens c’est ce qui m’effraie le plus. Je parcours cent fois le jour les lieux où nous étions ensemble et je ne t’y trouve jamais. Je pense sans cesse à la veille de ton départ on s’inquiéter ou tu avais resté si longtemps mais jamais j’en ai ouvert la bouche. Enfin tous les objets que j’aperçois me portent quelqu’idée de ta présence

Mourira

Je vais mourir ici

Quand disais tu

pour m’avertir que je t’ai perdu. Tu n’as point ce supplice affreux. Ton cœur seul peut te dire que je te manque. Ah si tu savais quel pire tourment c’est de rester quand on se sépare combien tu préférais ton état au mien. Encore si j’osais gémir si j’osais parler de mes peines que je me sentirais soulagée des maux dont je pourrais me plaindre. Je racontais des fois quelques petites choses à Marie Gerbe mais maintenant tu n’as pas besoin de me le dire je lui dis rien plus il faut tout étouffer il faut contenir mes larmes il faut sourire quand je meurs.

Le pire est que tous ces mots aggravent sans cesse mon plus grand mal et que plus ton souvenir me désole plus j’aime à me le rappeler. Dis-moi mon ami mon doux ami sens-tu combien un cœur languissant est tendre et combien la tristesse fait fermenter l’amour. Rien de nouveau à t’apprendre j’en saurais peut-être bien un peu mais je ne veux pas le mettre sur ce papier. Je te dirais certes que le grand-père de Marie Gerbe du bourg de Château est mort Jean-Baptiste Gayon de Vilchelet et la belle-mère de Janny Larue. Monsieur Simon me demandait bien ton adresse mais en ce moment je ne la savais pas mais peut-être que vous vous êtes écrit maintenant. Cher ami je me porte assez bien pour le moment et je désire que cette lettre te trouve en si bonne santé comme elle me quitte. Ne parle de cette lettre à personne sois aussi secret que moi.

Adieu mon ami je quitte la plume mais croyez que ne vous quitte pas.

Theil le Juin 1904. Toute à toi d’amitié. E J

Dans la marge : Pense à moi si tu m’aimes. « 

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